LE BON VIEUX TEMPS DU MAROC

DEBARQUEMENT ANGLO-AMERICAIN EN AFRIQUE DU NORD

LES RAISONS DU DEBARQUEMENT ANGLO-AMERICAIN EN AFRIQUE DU NORD

ECOUTEZ  HOUCINE SLAOUI

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LE LIEN DES PHOTOS


Depuis l'attaque allemande contre l'URSS, le 22 Juin 1941, et les graves revers soviétiques qui marquent le début de la guerre à l'est de l'Europe, Staline presse ses alliés anglais et américains d'ouvrir un nouveau front à l'ouest, afin de soulager la pression de la Wehrmacht (armée allemande) sur l'Armée rouge (armée soviétique).


En 1942, l'état des forces alliées ne permet pas, toutefois, d'envisager un débarquement en Europe de l'Ouest, comme le démontre le désastreux raid anglo-canadien sur Dieppe, en août 1942. Dans l'immédiat, les Anglo-américains choisissent donc une autre stratégie, dite périphérique. Il s'agit de frapper là où les forces de l'Axe paraissent les plus fragiles, c'est-à-dire en Italie : les Alliés espèrent, après l'effondrement rapide du régime fasciste du dictateur italien Mussolini, remonter la botte italienne et accéder au coeur de l'Allemagne nazie par le sud. Pour réaliser ce plan et atteindre l'Italie, il est nécessaire pour les Alliés de prendre pied en Afrique du Nord française, en organisant un débarquement qui va prendre le nom de code d'opération Torch.


Ce débarquement doit permettre aussi l'ouverture d'un nouveau front, à partir de la Tunisie, afin d'attirer les Germano-italiens présents en Libye et écarter la menace que fait peser l'Afrika Korps de Rommel, au milieu de l'année 1942, sur l'Egypte, le canal de Suez, la route des Indes et les champs pétrolifères du Moyen Orient.



LES PREPARATIFS AMERICAINS


L'opération doit s'effectuer simultanément en trois points différents de l'Afrique du Nord française. Dans les régions d'Alger et d'Oran, ce sont près de 70 000 Anglo-américains qui doivent débarquer, transportés par une importante armada venue du Royaume-Uni.


A l'ouest, au Maroc, ce sont 35 000 Américains commandés par le général Patton, qui arrivent directement des Etats-Unis à bord de près de 100 navires de l'US Navy. C'est une énorme force navale, constituée de trois cuirassés, sept croiseurs, quatre porte-avions, trente huit destroyers, trente six transports de troupes et une vingtaine de pétroliers, dragueurs de mines, sous-marins, qui s'est rassemblée le 28 octobre au large des Bermudes. L'amiral Hewitt, qui dirige l'armada, a planté sa marque sur le croiseur lourd USS Augusta. A bord du destroyer USS Mayrant se trouve le lieutenant F Delano Roosevelt Jr, le fils du Président des Etats-Unis...


Malgré ces moyens considérables, le succès est loin d'être assuré : certains experts américains donnent seulement une chance sur cinq aux hommes de Patton d'atteindre la grève, en raison du rythme des marées et de la hauteur de la barre, qui vont gêner l'approche des péniches de débarquement. Par ailleurs, les renseignements sur les cibles à atteindre sont nettement insuffisants : les informations dont disposent les Américains viennent de quelques groupes de résistants français au Maroc mais surtout de guides de voyage qui datent d'avant guerre !


Pourtant l'objectif est triple, Safi, pour débarquer les blindés, Fédala (Mohammedia), au nord de Casablanca, pour les troupes d'infanterie d'assaut, et Medhia, à l'embouchure de l'oued Sebou, avec en ligne de mire l'aérodrome stratégique de Port Lyautey (Kénitra), le seul au Maroc à disposer d'une piste en béton, utilisable par tous les temps. Pour réduire Casablanca, bien défendue par des batteries côtières et les redoutables canons du cuirassé Jean Bart, deux stratégies s'opposent : Patton est partisan d'un bombardement massif de la ville alors que le général en chef Eisenhower préfère contourner les défenses afin de s'emparer du port intact. C'est heureusement son avis qui l'emporte !


Dans la nuit du 7 au 8 novembre 1942, l'escadre américaine s'approche des côtes marocaines avec une remarquable discrétion, s'apprêtant alors à entrer en action. A 2 h du matin, Patton est réveillé, il marche sur le pont de l'USS Augusta, la météo exécrable qui avait menacé l'opération n'est plus qu'un mauvais souvenir, la mer est parfaitement calme, au loin il aperçoit les lumières de Casablanca et de Fédala qui scintillent, « God is with us » s'écrie-il !



RESISTER OU COOPERER ?


Côté français, les autorités de Vichy, représentées au Maroc par le Résident général Noguès, sont bien décidées à riposter contre toute tentative qui mettrait en cause la souveraineté française sur cette partie de l'Empire. A 1 h du matin, le 8 novembre, informé de l'imminence du débarquement, le général Béthouart, commandant le secteur de Casablanca, donne l'ordre à ses troupes de rester dans leurs cantonnements. Il rejoint ensuite, en voiture, sous une pluie battante, le quartier général de l'état-major français à Rabat. Là, il tente « au nom du général Henri Giraud » de convaincre les plus hautes autorités militaires de ne pas s'opposer à l'arrivée des Américains.


L'amiral Michelier, commandant des forces navales françaises basées à Casablanca, est convaincu qu'il s'agit d'une manoeuvre d'intoxication de la Gestapo et que les nazis cherchent un prétexte pour occuper le Maroc. Pour lui, il n'y a pas la moindre trace de navires américains en mer... Ironie du sort Michelier a reçu de Vichy, le 7, à 9 h 15, un message l'informant d'un possible débarquement allié, mais le message ne sera décodé qu'après le début des opérations... Dans la nuit, Michelier donne finalement l'ordre aux troupes de sortir des casernes, afin de résister à toute tentative d'invasion sur Casablanca.


A 2 h 30 du matin, Noguès reçoit une lettre de Béthouart qui lui demande de ne pas s'opposer au débarquement. Peine perdue, après avoir pris contact avec les garnisons de Casablanca, Meknès et Marrakech et s'être assuré qu'il n'y avait aucun signe d'une action des Alliés, le Résident général déclenche tout de même l'alerte sur l'ensemble du territoire. Le Maroc va être défendu coûte que coûte...


Béthouart et ses compagnons sont arrêtés. Internés à Meknès, ils seront accusés de haute trahison (le succès de Torch leur évitera la peine de mort). A 3 h du matin, un message de Roosevelt est diffusé sur les ondes courtes, dans un français approximatif, le président des Etats-Unis demande aux Français de croire ses paroles, d'aider les Américains dans la mesure du possible et « appelle les hommes qui détestent la tyrannie à rejoindre les libérateurs qui débarquent sur les côtes. Vive la France éternelle ! » L'opération Torch, la plus grande opération amphibie jamais tentée jusqu'à présent, peut désormais commencer.



SAFI : 8 NOVEMBRE 1942


C'est le général Harmon, un vétéran de la Première Guerre mondiale qui est chargé de diriger l'opération Blackstone et l'escadre d'une vingtaine de navires qui se positionne devant Safi. Vers minuit, le sous-marin USS Barb fait surface au large et débarque des commandos qui doivent rejoindre le port à bord d'un canot pneumatique pour en marquer l'entrée avec des lampes. Ainsi deux destroyers avec leurs 350 hommes pourront occuper les quais avant le lever du jour.


3 h 35 : le capitaine de marine François Deuve, réveillé par un coup de téléphone, met en alerte sa garnison ; il rejoint son poste de commandement et dicte ses ordres à de maigres troupes (450 soldats et officiers armés d'un matériel obsolète, une vingtaine de vieux véhicules blindés, quelques pièces d'artillerie...).


Au nord de la ville se trouve une batterie côtière moderne qui commande la baie. Bientôt les commandos américains, qui ont atteint le port, sont repérés et les Français ouvrent le feu. Des difficultés viennent retarder le débarquement, les soldats trop lourdement chargés peinent à descendre les filets qui courent sur la coque des navires. Les charges sont mal réparties sur les péniches de débarquement, il faut repositionner le matériel et les opérations prennent du retard.


A 5 h 30, deux destroyers pénètrent par surprise et à toute vitesse dans le port, des commandos sont débarqués ; ils sont vite entourés par une foule de pêcheurs marocains qui viennent, sans grande conscience du danger, assister à un « match ». Ils comptent ainsi les coups, tournent la tête à droite et à gauche en suivant les salves de mitrailleuses, qui fusent de part et d'autre ! Les points stratégiques de Safi sont rapidement entre les mains américaines, à l'exception de l'aérodrome âprement défendu. Harmon peut débarquer sur les quais ses blindés, la totalité de ses hommes et une bonne réserve de carburant. Dès le lendemain, il prend avec les chars la route de Casablanca. L'aérodrome est occupé le 10 novembre au soir, après la signature d'un cessez-le-feu.

 

A LA CONQUETE DE PORT LYAUTEY : 8 NOVEMBRE 1942


 

S'emparer du second port marocain, se trouvant à environ trois kilomètres à l'intérieur des terres, n'est pas un objectif facile. L'embouchure du Sebou, qui conduit à Port Lyautey par une impressionnante boucle en fer à cheval, est gardée par une ancienne casbah bien équipée en canons et mitrailleuses lourdes. Environ 3000 légionnaires et tirailleurs marocains sont en garnison. Le général américain Truscott dispose de 9000 hommes pour mener l'assaut sur le port et le précieux aérodrome. Les courants gênent les navires et une panne radio, empêchant toute communication entre les bateaux, retarde le début de l'opération. Truscott doit monter sur une petite embarcation et se rendre à bord des transports de troupes pour donner ses derniers ordres.


 

Un groupe de commandos part couper le filet métallique, dressé entre les deux jetées construites à l'embouchure du fleuve et qui empêche tout passage. Les mitrailleuses de la casbah dispersent rapidement les intrus. Dans la nuit, le vieux destroyer Dallas, chargé de remonter le fleuve pour atteindre l'aérodrome avec ses commandos, tente d'enfoncer le filet mais à deux reprises les batteries côtières l'obligent à renoncer. Les avions américains Wildcat détruisent au sol une bonne partie des avions français, les autres qui réussissent à prendre l'air infligent quelques pertes aux Américains.


 

C'est le 10 novembre, qu'une équipe parvient enfin à couper les câbles métalliques de 38 mm de diamètre : les commandos sont embarqués sur le vieux destroyer Dallas qui, magistralement guidé par le pilote français René Malevergne, se fraye un chemin au milieu des nombreux pièges du Sebou et s'empare de l'aérodrome. L'objectif principal du premier jour est finalement atteint au prix de pertes importantes dans les deux camps ; les combats à terre s'achèvent au soir du troisième jour.


 


 

LA BATAILLE DE CASABLANCA : 8-10 NOVEMBRE 1942


 

Dans la capitale économique du Royaume, tout est encore calme le 7 novembre et personne ne soupçonne l'imminence de l'orage qui approche. Si certains attendent un débarquement américain, ils pensent que c'est plutôt à Dakar qu'il va se dérouler ! Pourtant, dans la soirée, les séances de cinéma sont interrompues et les militaires se trouvant là sont tous rappelés d'urgence à leurs postes.


 

Le général américain Patton compte débarquer ses 19 500 hommes à Fédala (Mohammedia), pour attaquer Casablanca par le nord. Les premiers débarquements ont lieu à 6 h 15, avec une heure de retard sur l'horaire. Le débarquement est facile, la garnison exécute l'ordre de Béthouart, dont l'arrestation n'est pas connue : ne pas s'opposer à l'arrivée des Américains. La marine, quant à elle, n'est pas encore alertée. Mais les hommes lourdement chargés peinent à descendre les filets qui courent sur la coque des navires, d'autres glissent et se noient. Les chalands de débarquement, pas toujours au point techniquement et pilotés par des équipages peu formés, ont bien du mal à atteindre la côte ; sur 347 utilisés le 8 novembre, 137 sont détruits. A 7 h, les batteries côtières de Pont Blondin entrent en action, la riposte américaine venue de l'armada stationnée en mer est massive, vers 12 h toutes les défenses côtières sont détruites ou capturées. Dès lors, le port de Fédala peut être utilisé pour accélérer le débarquement. Dans la soirée, 7500 hommes sont à pied d'oeuvre et de nombreux chars déchargés dans l'après-midi seront engagés le lendemain.


 

A Casablanca, le 8 novembre, vers 4 h du matin, un vrombissement d'avions, venus de la mer, se fait entendre : pas un coup de feu, pas une bombe, mais une multitude de tracts lâchés sur la ville. C'est une proclamation d'Eisenhower, rédigée en français et en arabe, qui demande à la population de ne pas se défendre face aux Américains, venus en amis pour aider à vaincre les nazis. A 8 h, des appareils du porte-avions Ranger détruisent l'aviation française, les dépôts de munitions et de carburant de l'aérodrome du Camp Cazes. A 8 h 04, l'enfer se déchaîne, une pluie de bombes tombe sur le port alors que les obus de gros calibres tirés par les cuirassés américains cherchent le cuirassé Jean Bart. Celui-ci, en cours de construction, a quitté Saint-Nazaire à la barbe des Allemands, le 19 juin 1940, et a gagné, inachevé, le port de Casablanca. Ne pouvant bouger, faute de moteurs en état, il ne représente qu'un danger relatif. Pourtant sa tourelle avant, dotée de quatre énormes canons de 380 mm, peut tirer jusqu'à trente kilomètres et peut atteindre l'armada américaine.


 

Dès les premières minutes de l'attaque les dégâts sont très lourds, trois sous-marins détruits au mouillage, trois gros paquebots arrivés la veille de Dakar coulés, d'autres navires de commerce en feu... Plusieurs sous-marins réussissent cependant à sortir du port alors que la 2e escadre légère appareille courageusement. A l'extrémité de la jetée, l'aumônier de l'escadre, bénit chaque navire qui sort de la passe...


 

Un combat naval inégal s'engage alors entre les puissants croiseurs lourds et cuirassés américains, épaulés par l'aviation, et les malheureux torpilleurs français, qui évoluent entre la pointe d'El Hank et les Roches Noires. L'un après l'autre les bâtiments français sont touchés et coulés, le Fougueux, la Tempête, le Frondeur, le Milan, le Boulonnais... Les équipages sont recueillis par d'autres bâtiments ou regagnent la côte à la nage pour reprendre le combat ! Le croiseur Primauguet, plus grosse unité de l'escadre (en juin 1940, il a apporté au Maroc une partie des réserves d'or de la Banque de France), engagé par les cuirassés et les avions américains, est en feu. En début d'après-midi, il vient s'échouer contre la digue du port, 110 marins meurent à son bord.


 

Le 9, avec les équipages des navires coulés la veille, un bataillon est formé pour défendre les points stratégiques autour de Casablanca, comme la batterie de canons de 90 mm d'Aïn Sebaa ; l'équipement est dérisoire, des fusils Lebel de la guerre précédente ! C'est là que beaucoup de marins meurent encore le 10, dans des combats désespérés et inutiles contre les Américains. Le même jour, le Jean Bart résiste encore et ses canons tiennent à distance les cuirassés, les Américains décident d'en finir et envoient de nombreux avions avec des bombes de gros calibres. Le grand cuirassé est touché à plusieurs reprises, bientôt il s'enfonce et s'assied bien sagement sur le fond, deux énormes déchirures, l'une à l'avant, l'autre à l'arrière. Mais la coque et le pont blindé ont résisté, deux jours après, il flottera de nouveau.


 

Patton, qui approche de Casablanca depuis Fédala, s'est heurté à une forte résistance des troupes au sol. Il fixe l'offensive sur la ville pour le 11 au matin, celle-ci devant débuter par une violente préparation d'artillerie. Le Résident général Noguès reçoit le 10 l'ordre de l'amiral Darlan de cesser les hostilités, mais il attend une confirmation écrite qui n'arrive que le 11, à 7 h 30. Il peut alors ordonner le cesser le feu, le commandement américain prévenu annule la préparation d'artillerie, la bataille de Casablanca arrive à son terme.


 

La défense du Maroc est terminée, mais cette lutte aussi courageuse qu'inutile coûte cher à l'armée française : 1650 blessés et 1000 morts, sans compter les nombreux navires détruits et les ports endommagés. Les Américains ont eux aussi des pertes importantes (bilan estimé à 500 morts environ), mais ils ne se trompent pas d'ennemi. Patton déclare aux chefs français du Maroc lors de leur première entrevue, le 12 à Fédala : « Tout cela n'est que de l'entraînement avant d'affronter les vrais s..... en Europe ! » Les adversaires d'hier se réconcilient, les prisonniers sont libérés. C'est ensemble que Noguès et Patton enterrent leurs morts...


 

Le 16 janvier 1946, à l'Assemblée Constituante, le Général de Gaulle répondra à Edouard Herriot lui reprochant alors d'avoir régularisé les citations décernées aux combattants français des journées de novembre 1942 : « Il n'est pas question d'arracher des cercueils des pauvres morts et de la poitrine des malheureux mutilés les croix qu'on leur a décernées trois ans plus tôt, pour avoir combattu suivant les ordres de leurs chefs et bien que ces ordres aient été donnés à tort. »

 

LA GUERRE DES CHEFS FRANCAIS AURA BIEN LIEU


 

Giraud, général de 63 ans, s'évade en avril 1942 de la citadelle allemande de Köenigstein (à l'aide d'une corde à noeuds !). Il rejoint la France non occupée et n'y est pas très bien reçu ; beaucoup le blâment pour les représailles qu'il attire sur les détenus français. Laval lui demande de se constituer prisonnier pour apaiser la colère d'Hitler, Giraud refuse mais s'engage à « ne rien faire qui puisse gêner en quoi que ce soit nos rapports avec le gouvernement allemand ».


 

C'est cet homme qui, à défaut de Pétain ou Weygand, est choisi par les Américains pour leur apporter l'adhésion de l'Afrique du Nord ; c'est en son nom que les troupes françaises seront encouragées à bien accueillir les Anglo-américains. Décrit par les services spéciaux de Roosevelt comme un « vaniteux mais sans orgueil, tout d'ambition mais pauvre en idéal », ce « sabreur à moustaches » est un militaire français selon leurs voeux : il souhaite crânement se voir confier lors des opérations à venir, le commandement en chef des forces alliées, rien de moins !


 

Le 1er novembre, Giraud est prévenu de l'imminence du débarquement des Alliés, il doit rejoindre d'urgence l'Afrique du Nord. Dans la nuit du 5 au 6, il embarque à bord d'un sous-marin anglais le Seraph au large du Lavandou, la mer est si agitée que le général tombe à l'eau en montant à bord ! Le 7, à 8 h du matin, Giraud est transbordé par mer très forte (creux de deux mètres) sur un hydravion « Catalina », qui décolle avec de grosses secousses. Presque aussitôt il survole l'immense flotte qui fait route vers Alger. L'appareil amerrit à Gibraltar à 15 h. C'est là que Giraud rencontre Eisenhower (général en chef des forces américaines), lors d'une entrevue tragi-comique, le 8 novembre, il est finalement reconnu comme chef des forces françaises ainsi que de l'administration et du gouvernement des territoires français d'Afrique du Nord.


 

Pourtant, les choses tournent autrement, l'amiral Darlan qui, 9 mois plus tôt était encore le chef du gouvernement de Vichy et qui reste à la tête des forces armées, se trouve par hasard à Alger. Il est arrivé le 5 novembre, incognito, au chevet de son fils très malade. Tiré de son sommeil dans la nuit du 7, Darlan est mis au courant de l'opération Torch par Murphy (Consul des Etats-Unis à Alger et représentant spécial de Roosevelt). Il explose : « Je sais depuis longtemps que les Anglais sont stupides. Je croyais les Américains plus intelligents. Je vois qu'ils se valent. Si vous aviez attendu quelques semaines, nous aurions agi ensemble, suivant un plan établi non seulement pour l'Afrique mais pour la France. Vous avez voulu marcher seuls ! Je me demande ce que va devenir mon pays ! » Lorsqu'il apprend que Giraud doit prendre le commandement, il déclare à Murphy : « Il n'est bon qu'à faire un général de division ! C'est un enfant ! Il ne comprend rien et ne vous servira à rien ! » Le 9, Giraud se pose sur l'aéroport de Blida, il est stupéfait, personne n'est là pour l'accueillir, plus grave, il est considéré par une grande partie de l'armée d'Afrique comme un rebelle et craint d'être arrêté ; il a perdu la partie !


 

Les Américains jouent désormais la carte Darlan, pour eux, il est le seul qui puisse mettre fin aux combats qui se poursuivent un peu partout. Bien que Pétain appelle l'Afrique du Nord à continuer le combat, le général Clark (adjoint d'Eisenhower) accourt de Gibraltar, bouscule, menace l'amiral qui finit par ordonner le cessez-le-feu « au nom du maréchal », le 10 novembre. La réaction publique de Pétain est immédiate : Darlan est désavoué, destitué, remplacé par Noguès. Mais le 11, Darlan reçoit de Vichy un télégramme dont le code secret est inconnu des Allemands, lui indiquant que le désaveu du maréchal ne correspond pas à « ses sentiments intimes » et que le vieux chef lui garde toute sa confiance. Darlan peut reprendre sa place à la tête de l'Afrique du Nord, traiter au mieux avec les Alliés, confirmer le cessez-le-feu... Et sous la très forte pression de son entourage et des Américains, ramener l'Empire dans la guerre.


 

A Alger les chefs français continuent pourtant à se déchirer. Le 12, Noguès qui vient d'arriver du Maroc, refuse de serrer la main de Giraud : « Je ne serre pas la main à un traître ! » Les deux hommes tout rouges et très énervés ne sont pas loin d'en venir aux mains ! Le 13, Darlan, Noguès, Giraud et Juin s'entendent enfin devant des Américains persuasifs et profondément agacés par les déchirements français. Le 22 novembre, Darlan est investi par Roosevelt comme Haut-commissaire pour l'Afrique du Nord. Giraud hérite du commandement des forces terrestres et aériennes, les autres hauts fonctionnaires français, comme Noguès, conservent leur poste... Le 23, L'Afrique Occidentale française rejoint à son tour le camp des Alliés.


 

Pas un instant le chef de la France libre, le général de Gaulle, n'est associé aux plans et calculs américains. Il est méprisé par Roosevelt qui le considère comme quantité négligeable et le taxe, au choix, de « mégalomane se prenant pour Jeanne d'Arc » ou de « gangster » ! Il faudra toute la ténacité et l'habileté politique du général pour revenir dans la partie...


 


 

L'INVASION DE LA ZONE LIBRE ET L'OFFENSIVE ALLEMANDE EN TUNISIE : NOVEMBRE 1942


 

Pour les Allemands, le débarquement est une bien mauvaise nouvelle, mais Hitler considère que les cinquante deux divisions allemandes stationnées à l'Ouest excluent la possibilité d'une invasion de l'Europe prolongeant l'irruption en Afrique.


 

Pourtant deux mesures s'imposent rapidement : l'occupation de la totalité de la France et l'installation des forces de l'Axe en Tunisie. Le 10 novembre, à 23 h 50, les Allemands demandent à Vichy, d'ouvrir la Tunisie aux forces allemandes et italiennes ; le 11, à 2 h du matin, ils devancent la permission en annonçant que les dites forces commencent à débarquer, un troisième message remis à 5 h 30 notifie l'entrée en zone Sud de la Wehrmacht. Aucune résistance physique n'est envisagée, Pétain peut partir puisqu'un avion est prêt à décoller pour l'Afrique du Nord. Pourtant, il reste, considérant que son devoir est de s'interposer entre le peuple français et son vainqueur, il invoque aussi les dangers d'un voyage aérien à son âge...


 

L'amiral Esteva commande en Tunisie au nom de Vichy, on dit de lui « qu'il va à la messe de 6 h parce que cela coupe sa matinée en deux ». Les subtilités du jeu politique français le dépassent, il refuse d'obéir à Darlan. Ayant l'ordre d'ouvrir la Tunisie à l'Axe, il l'ouvre ! Tunis occupée, Bizerte capitule. De longs mois de combats débutent, Français et Marocains vont s'y illustrer aux côtés des Alliés...


 


 

LE SUICIDE DE LA FLOTTE A TOULON : 27 NOVEMBRE 1942


 

Depuis l'armistice de juin 1940, une bonne partie de la flotte française dort dans le port de Toulon. En aucun cas, elle ne doit tomber entre des mains étrangères. Le sabordage est donc préparé, répété de longue date !


 

La flotte, fidèle à sa neutralité et au maréchal, refuse de traverser la Méditerranée pour rejoindre son chef naturel l'amiral Darlan. Elle se suicide, entre ses deux prétendants, l'Américain qui l'attend en vain à Alger et l'Allemand qui assiste impuissant au drame.


 

A 5 h 29, le 27 novembre, l'ordre de sabordage général est lancé du cuirassé Strasbourg, alors que les blindés allemands envahissent les quais et que des coups de canons sont échangés. Le jour se lève sur un spectacle sinistre : deux cuirassés, un croiseur de bataille, sept croiseurs, un transport d'aviation, vingt neuf destroyers, douze sous-marins... Plus de 100 bâtiments disparaissent. Les Allemands ne récupèrent qu'un peu de ferraille d'une flotte superbe jamais engagée au combat !


 


 

LA CONFERENCE D'ANFA : JANVIER 1943


 

Le 26 décembre 1942, après l'assassinat de Darlan à Alger, les Américains jouent finalement la carte Giraud en l'installant à la tête de l'Afrique du Nord.


 

Début 1943, les propriétaires des luxueuses villas de la colline d'Anfa, à Casablanca, sont priés de quitter les lieux ; le quartier, isolé, est transformé en camp retranché. Du 14 au 24 janvier 1943, s'y déroule une conférence interalliée, avec Roosevelt et Churchill. Informés par les services secrets espagnols, les Allemands, qui ont bombardé Casablanca, quinze jours auparavant, se laissent abuser par la traduction littérale du nom de cette ville (Maison blanche), en croyant que cette rencontre se déroulerait à la Maison Blanche de Washington !


 

Le but de cette conférence est la définition d'une stratégie commune contre les puissances de l'Axe sur tous les fronts. Roosevelt et Churchill se mettent d'accord sur l'éviction des puissances de l'Axe en Afrique du Nord ainsi que sur l'invasion de l'Italie, en débutant par la Sicile. En outre, les deux chefs d'États s'accordent sur la nécessité d'intensifier les bombardements sur le Reich nazi, et sur l'exigence d'une capitulation inconditionnelle de l'Allemagne, de l'Italie et du Japon. Enfin, ils décident de fournir à l'armée française d'Afrique du Nord un important matériel militaire, permettant d'équiper trois divisions blindées, huit divisions d'infanterie motorisées et plusieurs escadrilles d'avions (500 appareils), en quelques mois.


 

Toujours agacés par les divisions françaises, les Alliés tentent, à Casablanca, de rapprocher Giraud et de Gaulle en invitant les deux chefs. Alors que Giraud arrive sans délai, de Gaulle refuse d'obéir à ce qu'il considère comme une convocation américaine. Il faut attendre le 22 janvier et une grosse colère de Churchill pour que le général ombrageux accepte de répondre à l'invitation. Arrivé à Anfa, de Gaulle demeure intraitable, Churchill se fâche encore et lui déclare dans un français inimitable : « Vous ne devez pas obstacler la guerre ! »


 

De Gaulle rencontre Giraud lors d'une entrevue glaciale, il lui lance : « Je vous ai par quatre fois proposé de nous voir, et c'est dans cette enceinte de fils de fer, au milieu des étrangers, qu'il me faut vous rencontrer ? » Le 22 au soir, de Gaulle est reçu par Roosevelt, des agents des services spéciaux, mitraillette au poing, assistent à l'entrevue cachés derrière les rideaux... Le 24, Giraud et de Gaulle se rencontrent à nouveau et à l'invitation de Roosevelt, acceptent de se serrer la main devant les photographes. Pourtant aucun accord n'intervient entre les deux rivaux.


 


 

SIDI MOHAMMED BEN YOUSSEF ET LA PRESENCE AMERICAINE AU MAROC


 

Lors du débarquement américain au Maroc, le sultan Sidi Mohammed Ben Youssef, refuse de quitter Rabat pour Fès, enfreignant les consignes du Résident général. Le 9 novembre, il demande à Noguès de cesser le combat, afin d'épargner un sang inutile, devant des forces invincibles qui viennent en amis. Fidèle à ses aspirations, le sultan s'affirme ainsi comme le représentant d'un peuple acquis à la cause des Alliés.


 

En marge de la conférence d'Anfa, le sultan est reçu deux fois par Roosevelt. Des contacts secrets ont, d'ailleurs, eu lieu quelques semaines auparavant avec l'envoyé spécial américain en Afrique du Nord, Robert Murphy. Une de ces entrevues se tient le 22 janvier, lors d'un dîner officiel auquel assiste le jeune prince héritier, le futur Hassan II, en présence de Churchill et de nombreuses personnalités. Fidèle à son engagement vis-à-vis de la Charte de l'Atlantique, Roosevelt laisse alors clairement entendre à Sidi Mohammed ben Youssef que le temps des colonies touche à sa fin et que les Américains sont prêts à aider le Maroc, le moment venu. « Ce fut un dîner tout à fait charmant, tous les convives à l'exception d'un seul, passèrent une heure très agréable » rapporte le fils de Roosevelt, témoin de la rencontre. En effet, Churchill montre une mauvaise humeur ostensible qui n'est pas seulement due à « la sécheresse toute musulmane du dîner »...


 

Désormais, le nouveau contexte mondial, issu de la guerre, semble favorable aux courants nationalistes, qui existent dans les empires coloniaux européens... Pour Sidi Mohammed ben Youssef et le mouvement nationaliste de son pays, l'entrevue d'Anfa ouvre donc de nouveaux horizons...


 

Les nationalistes marocains, jusque là modérés dans leurs revendications, réclament l'indépendance du Maroc dès le 11 janvier 1944, dans le Manifeste du Parti de l'Istiqlal. Pour autant, l'attitude du sultan et du Maroc à l'égard de la France reste la même jusqu'à la fin du conflit : un loyalisme indéfectible et un soutien absolu à l'effort de guerre !

 

UNE AIDE FINANCIERE ET UNE MOBILISATION DE L'ECONOMIE A L'EFFORT DE GUERRE DE LA FRANCE


 

Dès 1939, le Protectorat français au Maroc décide de « contribuer financièrement à l'effort de défense nationale » : 15 millions de francs dans un premier temps, puis 30 millions de francs pour chacune des années suivantes. Ces sommes proviennent de l'augmentation des ressources fiscales existantes et de la création de nouvelles taxes.


 

Le Maroc contribue aussi à aider la France par de vastes campagnes de solidarités, qui voient une forte participation des populations marocaine et française. Par exemple, « La Fraternité de guerre », organisme marocain, qui porte assistance aux soldats mobilisés dans les unités marocaines de l'armée d'Afrique, « L'Association des Femmes de Prisonniers et Déportés du Maroc » ou encore La Croix-Rouge française...


 

Dans le domaine agricole, un plan de production est élaboré en fonction des besoins de la France. Il se traduit notamment par le développement de la culture des oléagineux, du coton et par l'augmentation de la production de céréales.


 

Dans le secteur minier, le Maroc met aussi la production et l'exploitation de ses richesses au service de la métropole (France continentale) : il lui livre divers minerais (manganèse, plomb, fer, zinc, étain, cobalt, molybdène) et lui procure d'importantes rentrées de devises, grâce à la vente des phosphates.


 

Enfin, dans le domaine industriel, un effort exceptionnel est demandé aux entreprises pour participer au ravitaillement de la France.


 

Parallèlement, le Maroc fournit d'importants contingents de main d'oeuvre acheminés vers la France et l'Algérie (colonie alors divisée en départements français), afin de répondre aux besoins de l'économie de guerre. En 1939, la France reçoit ainsi plus de 12 000 ouvriers et l'Algérie accueille 24 000 travailleurs agricoles saisonniers marocains.


 

Au Maroc même, des efforts supplémentaires sont demandés à la main d'oeuvre locale, surtout à partir de 1943. Celle-ci doit s'employer sans relâche, accepter des journées de travail plus longues et parfois des restrictions au repos hebdomadaire.


 


 

DES REQUISITIONS TRES IMPORTANTES


 

A partir de 1939, les produits considérés comme nécessaires à l'effort de guerre de la France sont soumis à une réglementation très sévère, imposant à leurs producteurs, leurs vendeurs ou leurs propriétaires, de multiples mesures restrictives, telles que : le recensement, la déclaration des stocks, la circulation limitée et contrôlée et l'interdiction d'exportation.


 

Les produits alimentaires sont les premiers à être réquisitionnés pour approvisionner la France. La viande, les céréales, les produits laitiers, le café, le thé, le sucre, les légumes, les jus de fruit... Toutes ces denrées font l'objet de réglementations et de restrictions qui frappent la population au Maroc. C'est ainsi qu'en 1943, les autorités françaises décident la fermeture temporaire des pâtisseries.


 

Les ressources énergétiques sont également soumises à des réquisitions et une sévère réglementation de leur consommation : les carburants, « durant les hostilités, ont la même valeur que la poudre ou les munitions », rappelle le Résident général Noguès, en 1939 ! Le régime de livraison d'essence est ainsi réservé en priorité à l'effort de guerre, de même que l'exportation du charbon.


 

Tous les biens industriels (machines diverses, tissus, sacs de jute, carton, ferraille, cuir) sont soumis à des contrôles similaires, permettant de les recenser afin de mieux les réquisitionner.


 


 

DES PRIVATIONS ET DES SACRIFICES


 

L'effort de guerre du Maroc en faveur de la France et de la cause alliée est supporté au quotidien par des populations, qui doivent se plier à l'organisation particulière d'un pays en état de siège. Les mesures exceptionnelles qui en découlent sont très contraignantes : outres les réquisitions très importantes, les limitations de liberté de mouvement et les contrôles incessants entraînent aussi de nombreuses privations.


 

A cela, s'ajoute le contexte difficile de la guerre, surtout entre juillet 1940 et novembre 1942, qui entrave les échanges avec l'extérieur et accentue le problème du ravitaillement.


 

A partir de 1941, suivant les accords Weygand-Murphy, les Etats-Unis acceptent de ravitailler l'Afrique du Nord en denrées de base, afin d'empêcher qu'elle ne tombe sous la dépendance allemande. Mais cette aide alimentaire américaine n'empêche pas la pénurie de sévir au Maroc, particulièrement dans les grandes villes. Ainsi cet élève du Lycée Lyautey de Casablanca, fêtant ses 18 ans et heureux de découvrir, que pour cette occasion, on lui a préparé un plat de purée avec du beurre ! Denrée devenue si précieuse à l'époque.


 


 

LE RATIONNEMENT


 

Pour assurer un minimum vital aux populations du Maroc, les autorités du Protectorat établissent un rationnement, avec des cartes de consommation, à partir de 1940. Ce rationnement fixe, pour chaque mois, les quantités de produits auxquelles les coupons de la carte individuelle de consommation donnent droit : par exemple, en janvier 1943, 500 grammes de sucre, 1/3 de litre d'huile de table, 250 grammes de savon, 250 grammes de café et 2 litres de vin. Au cours de la guerre, ces quantités varient en fonction des stocks et des besoins de la France.


 

Le rationnement des denrées alimentaires et des tissus provoque, en particulier, le mécontentement de la population marocaine, car les autorités françaises accordent des rations distinctes aux Marocains et aux Européens, en tenant compte de leurs besoins différents.


 

Malgré l'appel du sultan pour soutenir la France et les Alliés, certains Marocains estiment que cette guerre ne concerne qu'indirectement les peuples colonisés, ce qui rend ces sacrifices encore plus difficiles à supporter. En outre, les réquisitions, les restrictions et le rationnement provoquent une forte spéculation, une hausse vertigineuse des prix et l'apparition du marché noir, que les autorités françaises ont du mal à combattre, malgré la mise en oeuvre de nombreuses mesures répressives. Phénomènes, dont les populations marocaines les plus démunies sont les principales victimes.


 

Le mécontentement, qui résulte de toutes ces difficultés, s'exprime parfois ouvertement. Par exemple, en janvier 1943, dans le quartier d'Anfa, en marge de sa célèbre conférence interalliée, une foule constituée surtout de femmes marocaines cherche à faire part de ses doléances au général de Gaulle, chef de la France libre et futur responsable du Gouvernement provisoire de la République française. Manifestation, dont Driss Chraïbi nous décrira la bonne humeur, rythmée par des refrains populaires, telle cette version locale de l'hymne du maréchal Pétain ; reliquat de l'époque de Vichy au Maroc : « Maréchal nous voilà, tous derrière, tous derrière ! Les poches trouées, les pieds nus, le ventre creux, les choses aussi (...) » Couplet qui illustre alors les difficultés quotidiennes des plus défavorisés.

UN PAYS EPARGNE PAR L'OCCUPATION ALLEMANDE


 

Durant la Seconde Guerre mondiale, le Maroc est une véritable terre d'asile pour les réfugiés de toutes origines, fuyant une Europe soumise au joug du nazisme et du fascisme. Il devient un lieu d'étapes pour ceux qui veulent s'enfuir en Amérique, dans les pays neutres ou continuer la lutte en gagnant l'Angleterre.


 

Pour toutes ces personnes, la vie au Maroc paraît plus douce qu'en Europe occupée. Malgré la pénurie et le rationnement, on y mange mieux qu'en France, qui doit faire face à un véritable pillage organisé par l'Allemagne. De plus, il n'y a pas de couvre-feu ni de terreur policière imposés par les Nazis. La présence allemande au Maroc, outre deux consulats à Tanger et Ceuta, se limite à des commissions militaires germano-italiennes, chargées de vérifier le respect des clauses de l'armistice de juin 1940.


 

Cette tâche est d'abord assurée par la seule commission italienne d'armistice, assistée par l'inspection du contrôle allemand pour l'Afrique (KIA), jusqu'au printemps 1941. Epoque à partir de laquelle l'Allemagne décide d'imposer son contrôle militaire exclusif sur le Maroc. Le général Schulteiss est le chef de cette inspection du contrôle allemand, qui se divise en deux commissions : l'une pour la marine et l'aviation, installée à Casablanca, l'autre pour l'armée de terre, siégeant à Fédala (Mohammedia).


 

A Casablanca, ces soldats allemands, assez discrets, vivent dans le quartier d'Anfa. S'ajoutent aussi quelques éléments de la Gestapo (police politique allemande) et des membres des services secrets nazis. Durant les premières années de la guerre, Casablanca se transforme, d'ailleurs, en véritable nid d'espions des pays belligérants !


 

LES MESURES ANTISEMITES


 

Bien qu'épargné par l'occupation allemande, le Maroc doit s'aligner sur la politique autoritaire et antisémite du régime de Vichy, de juillet 1940 à novembre 1942.  


 

Le Protectorat met ainsi en place les statuts discriminatoires établis par l'Etat français, en 1940 et 1941, qui excluent les juifs de l'enseignement, de la fonction publique et les écartent de secteurs majeurs de la vie économique. A Casablanca, par exemple, 26 avocats juifs sur 30 sont radiés du barreau et 13 médecins sur 16 sont rayés de l'ordre. Parallèlement, 10 000 juifs algériens, vivant au Maroc, sont privés de leur nationalité française et relégués au statut d' « indigène ». 


 

En août 1941, les israélites nouvellement installés dans les « quartiers européens » des villes marocaines depuis 1939, sont contraints, en théorie, de quitter les lieux . A Casablanca, une décision du pacha, en 1937, leur ayant interdit la nouvelle médina, ils n'ont d'autre choix que de s'entasser dans le mellah (quartier juif de l'ancienne médina) ou de quitter la ville.


 

Ces mesures discriminatoires frappent aussi les enfants israélites. Abraham Serfaty, alors sur les bancs du Lycée Lyautey de Casablanca, racontera plus tard : « s'il n'y eut pas d'arrestations, nous eûmes cependant droit aux interdits et exclusions. Ainsi ma soeur dut-elle quitter le Lycée, le numerus clausus qui la frappait m'ayant en revanche épargné. » Le soir, certains professeurs bravent ces mesures iniques et assurent des cours clandestins à ces jeunes victimes de l'antisémitisme ! Il faudra attendre 1943 pour que tous les élèves juifs retrouvent les bancs de leur classe et leurs camarades.


 

Enfin, quelques centaines de juifs français et étrangers, d'Europe centrale essentiellement, sont internés dans des « camps de séjour surveillé », véritables camps de travail, répartis sur le territoire marocain, comme à El Jadida, Ain Leuh, Beni Mellal, Bou Arfa, Tadla, Mrirt, Tazmamart, Agdz, et Ghbila. Ils y côtoient d'autres détenus français et marocains, des socialistes, des communistes et des francs-maçons. 


 

Néanmoins, ces internements ne concernent pas les juifs marocains et ne présentent pas de caractères systématique et massif pour les autres. Aucun  juif dans le royaume chérifien n'est déporté dans les camps de concentration et d'extermination nazis en Europe, échappant ainsi au plus terrible génocide de l'Histoire, surnommé la Shoah, qui entraîne la mort de plus de 5 millions de juifs.  Si les israélites du Maroc ont ainsi pu éviter le sort dramatique de leurs coreligionnaires d'Europe, ils le doivent en grande partie à la protection du sultan Sidi Mohammed ben Youssef et aux aménagements de la politique antisémite, qu'ont dû lui concéder les autorités du Protectorat, fidèles à Vichy. Vichy, dont l'autorité s'efface progressivement au Maroc après le débarquement des Américains, en novembre 1942, et avec elle toutes les mesures discriminatoires à l'encontre des juifs. 


 

Près de 250 000 juifs marocains ont donc globalement traversé les années 1940-1942 « à l'abri de toute persécution, la majorité d'entre eux ignorant l'existence de camps de travail forcé qui étaient mis en place au Maroc par le Régime de Vichy. (...) Les juifs marocains avaient subi un certain nombre de mesures comme l'inventaire des biens, mais ils n'ont jamais été inquiétés grâce à la protection salvatrice de feu SM Mohammed V, alors que des juifs français et étrangers avaient été incarcérés en secret par les autorités du Protectorat. » (Serge Berdugo, secrétaire général du Conseil des communautés israélites du Maroc, lors du 60e anniversaire de la Shoah, le 30 janvier 2005).


 

L'INTERNEMENT D'ESPAGNOLS ET D'ITALIENS


 

Une autre catégorie de population subit, sous Vichy, des mesures discriminatoires : les centaines de républicains espagnols réfugiés au Maroc depuis 1939, après la victoire de Franco et du fascisme en Espagne, au terme d'une terrible guerre civile. Beaucoup de ces réfugiés sont installés à Casablanca (ils représentent par exemple 15 % de la population du quartier du Mâarif). Cette communauté, dont les idéaux politiques de gauche ou d'extrême gauche sont exécrés par Vichy, est placée sous la surveillance des autorités du Protectorat. Des Espagnols sont même arrêtés et internés dans des camps, comme ceux d'Azemmour ou de Oued-Zem.


 

Les francs-maçons et les quelques résistants gaullistes, engagés de la première heure, sont également traqués par les autorités françaises, avec parfois le concours de la Gestapo et des services secrets allemands.


 

Après le débarquement américain au Maroc, en novembre 1942, le Protectorat, qui est passé dans le camp des Alliés, libère les républicains espagnols, les francs-maçons et les résistants français.


 

C'est au tour de la population italienne d'être suspectée... L'Italie fasciste de Mussolini étant l'alliée de l'Allemagne nazie. A Casablanca, par exemple, des Italiens sont enfermés dans un camp situé dans le Maarif : baraquements en bois avec fils de barbelés, pour ces hommes qui se font parfois traiter de fascistes... Par leurs propres voisins !


 

CASABLANCA BOMBARDEE


 

A l'aube du 8 novembre 1942, la population casablancaise est réveillée par le mugissement des sirènes de la ville, suivi d'une violente canonnade. La guerre, dans sa réalité la plus brutale et sa dimension la plus cruelle, arrive alors aux portes de Casablanca. L'US Navy bombarde, en effet, la marine française, en mouillage dans le port, qui a reçu l'ordre, du gouvernement de Vichy, de résister au débarquement américain au Maroc. Le pilonnage est intense, parfois des bombes ratent leur objectif et explosent dans les quartiers autour du port (dont l'ancienne médina) et même au-delà, faisant les premières victimes civiles de l'opération Torch.


 

Jacqueline Remer-Bardon, alors âgée de 13 ans, racontera :  « La sirène retentit. Que se passe-t-il en ce dimanche 8 novembre ? Nous nous apprêtions, maman et moi, à aller à la messe au Mâarif (...) quand mon oncle arrive essoufflé :  « Restez ici. La sirène sonne. Ne bougez pas ». Mon père prend son vélo et rejoint le centre de sécurité auquel il était affecté en cas de problème. Maman et moi, curieuses malgré tout, restons sur le trottoir et discutons avec les voisins. Tout à coup, un objet énorme passe au dessus de nous en sifflant. « C'est un obus ! » s'exclame un des voisins. En un instant, nous rentrons dans nos villas respectives et nous n'en bougeons plus. D'autres bruits étranges nous parviennent. Le soir même, à la radio, nous apprenons que les écoles et lycées seraient fermés le lendemain (...) » 


 

Pendant les trois jours, que durent la bataille de Casablanca, les civils, angoissés par la tournure des évènements, se terrent en effet dans leurs foyers. La ville perd alors sa légendaire agitation et son atmosphère fiévreuse. Casablanca évite cependant le pire, puisque le bombardement massif de la ville, prévu le 11 novembre par les Américains, est finalement annulé, après l'annonce du cessez-le-feu ordonné par le Résident général. La population casablancaise compte néanmoins des dizaines de morts et de blessés.


 

Quelques semaines plus tard, dans la nuit du 30 au 31 décembre 1942, un autre bombardement frappe la ville. Il s'agit cette fois d'un raid aérien allemand, mené par dix huit avions en provenance de Toulouse, qui a pour objectif les infrastructures du port, où s'accumulent le carburant et le matériel américain.


 

Gênés par les défenses anti-aériennes américaines, les appareils lancent en fait leurs bombes à l'aveuglette, touchant des quartiers d'habitation. Ainsi quatre bombes tombent sur la nouvelle médina, faisant 110 victimes. Ce raid aérien sur Casablanca est le seul que les Allemands mèneront durant la guerre. Il est vrai que celui-ci leur coûte cher pour de piètres résultats, puisque au cours du retour ils perdent les 2/3 de leurs bombardiers, en grande partie à cause d'un manque de carburant !


 

L'AMERICANISATION DE CASABLANCA


 

Après le débarquement américain, la population observe, impressionnée, le déploiement de force de l'armée des Etats-Unis, dans les différents ports du Royaume, et au regard duquel la puissance française fait bien pâle figure ! Un jeune soldat français, Raymond Lescastreyres, écrit à cette époque : « Nous sommes en admiration devant leur équipement (...) ce qui nous étonne le plus c'est la sophistication du matériel dont ils sont dotés. En comparaison, le nôtre se trouve à des années-lumières en retrait. »


 

Pendant de longs mois, Casablanca offre alors un visage étonnant : des dizaines de milliers de tonnes de matériel sont stockées temporairement dans la ville, avant leur transfert pour le front de Tunisie (de novembre 1942 à mai 1943) puis vers des camps militaires, où sont équipées de nouvelles unités françaises, en application des accords d'Anfa. Casablanca se transforme ainsi en véritable entrepôt militaire à ciel ouvert : sur ses quais, aux abords de son port et même sur sa vaste place Administrative (actuelle place Mohammed V), qui accueille une chaîne de montage de véhicules de guerre !


 

Les rues des villes côtières grouillent d'uniformes américains. Dans les cafés, dans les cinémas, dans chaque lieu public, impossible de ne pas remarquer ces GI's hauts en couleur. Et dont certains s'amusent, parfois, à descendre les rues de Casablanca... A cheval et au galop ! Nombreux sont les habitants, jeunes ou adultes, qui découvrent ou redécouvrent le chewing-gum, les barres de chocolat, le coca-cola, les cigarettes américaines. Des petites boutiques se spécialisent dans les produits issus des stocks de l'armée américaine. Abraham Serfaty précisera : « la présence américaine au Maroc m'apportait aussi l'accès à la littérature immense de ce pays. Dans les kiosques, je trouvais à des prix dérisoires les livres de poche vendus par les soldats américains et je découvris ainsi Hemingway, Steinbeck et tant d'autres ».


 

Parallèlement, de nouveaux idéaux culturels se diffusent, sous la forme d'une américanisation, qui se reflète dans les modes de vie et dans l'architecture de l'habitation bourgeoise. C'est aussi l'époque où Hollywood s'intéresse à Casablanca et réalise un film du même nom, avec Humphrey Bogart et Ingrid Bergman !


 

Cette influence américaine au Maroc inspire alors le chansonnier Lhoussine Slaoui, qui compose un air populaire « Les beaux gars aux yeux bleus », dont les paroles sont très significatives : « Oh ! Oh ! Comme les temps ont changé ! Les Américains sont arrivés, les gens ont pris de l'assurance et les femmes leurs aises (... ) Même les vieilles ont mis des voilettes et mâchent du chewing-gum. Les épouses ont pris prétexte pour quitter leur domicile. Les beaux gars aux yeux bleus sont arrivés avec beaucoup de cadeaux (...) Ils distribuent des bonbons, des cigares et même des dollars (...) Même les petites filles ont appris l'américain. Tu n'entends plus que OK, OK, Come On, Bye Bye ! »


 

LA QUESTION DE l'INDEPENDANCE DU MAROC


 

Le nouveau contexte mondial issu de la guerre favorise la revendication de l'indépendance au sein de la société marocaine et particulièrement des milieux nationalistes, jusque-là modérés en ne réclamant que des réformes au sein du Protectorat depuis le milieu des années 1930.


 

En effet, la défaite de la France en 1940 et les divisions entre Français après cet événement ont ébranlé le mythe de l'invulnérabilité de la puissance occupante. Le débarquement américain au Maroc a rendu plus sensible encore l'affaiblissement de la France.  A cela, s'ajoutent les échos publics de l'entrevue d'Anfa, début 1943, entre le sultan Sidi Mohammed ben Youssef et le président américain Roosevelt, ainsi que les fuites de ces entretiens, qui donnent à penser que bien des choses vont devenir possibles, qui ne l'étaient pas auparavant…

 

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03/11/2007
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